Laplumeetlesmots

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Paris haute couture

       

 

 

 

 

Une journée dans l’atelier de couture de Mme Anaïs. (Extrait du roman L'Anneau)

 

Les salons continuaient à se remplir sans que ce petit monde ne fasse plus de bruit que des fidèles entrant dans une église. Dès le seuil, la nouvelle arrivée était happée par des chuchotis de voix féminines, de ceux que l'on peut entendre s'exhaler d'un choeur de femmes en prières. De crainte de briser leurs psalmodies, la cliente avançait sur la pointe des pieds, s'appliquant à ne pas faire craquer le parquet aux lattes brillantes, dont les teintes n'étaient pas sans lui rappeler le banc qu'elle occupait à l'église. Après avoir repéré une de ses connaissances, elle se dirigeait vers elle dans un mouvement aérien puis, sitôt installée sur une des chaises tendues de soie à rayures rouges et beiges, elle joignait sa voix au groupe de fidèles.  Des apprenties, réquisitionnées pour ces périodes de presse, leur proposaient du thé ou du café sensé les aider à patienter, mais les coquettes ne manifestaient aucun agacement pour l'attente : ne venaient-elles pas là pour leur plaisir ?

Dans un charmant fouillis, des albums rassemblant les croquis de la nouvelle collection étaient disséminés ici et là, pour le bonheur de ces dames qui se pâmaient devant certains modèles. Pour Mme Anaïs il n'était pas question d'avoir recours à de jeunes et jolies femmes qui défileraient, squelettiques, portant nos robes et nos fourreaux, nos jupes et nos manteaux. Elle craignait que certaines de ses clientes ne prennent ombrage de la trop grande différence existant entre elles et ces créatures filiformes. Je la revois encore, arpentant l’atelier des anciennes de sa démarche altière, agitant ses mains au rythme des explications passionnées qu’elle nous donnait :

- « Comprenez bien, Mesdames et Mesdemoiselles ! Je ne peux supporter de voir la femme se transformer en planche à pain ! Qui a pu faire si peu cas de son corps et de sa féminité ? Regardez-les, ces filles, à quoi ressemblent-elles, voulez-vous me le dire ! Avant toute chose, ce qui caractérise sa beauté, ce sont ses formes, que diable ! N’ont-elles pas été assez chantées par les poètes ? Dessinées par les peintres ? Façonnées par les sculpteurs ? Comment a-t-on pu les réduire à un sac d’os, je vous le demande ! Rien devant, rien derrière ! Prenez ce corsage par exemple, à quoi ressemblera-t-il s’il n’est pas habité par une poitrine ronde et ferme ? Et cette jupe, comment voulez-vous qu’elle exprime la vie, le mouvement, si elle n’est pas posée sur des hanches bien dessinées ? Il faut que le tissu puisse laisser deviner la présence d’un ventre rond et que de dos il ne retombe pas droit et vide mais qu’au contraire, il soit retenu par deux fesses musclées et rebondies, de façon à animer l’étoffe. Ne jamais oublier, Mesdames et Mesdemoiselles, lorsque vous regarderez une de vos clientes, de vous poser cette question : est-ce le corps qui doit faire le vêtement ou le vêtement qui doit faire le corps ? 

 

 

 

 

oooOooo 

 

 

 

Révélation d’une étrange armoire…(Extrait du roman Pays d'ailleurs...)

 

...

J’aurais dû me douter, un pareil écrin ne pouvait contenir que des merveilles. Sans avoir à prononcer la célèbre phrase d’Ali Baba : « Cézanne ! Ouvre-toi ! », en tournant simplement la clef, l’armoire m’avait ouvert ses portes dans de discrets craquements et senteurs fleuries. Mon attitude face à ma découverte devait exprimer le même ébahissement qu’avait eu Ali Baba face à son trésor. Ici, il avait pris la forme de mousseline et de velours, de cachemire et de lainage, de drap et de crêpe de chine, d’organdi et de taffetas. Sous ces étoffes aux multiples couleurs, les cintres étaient revêtus de toilettes capables de faire pâmer plus d’une coquette. C’était des robes à l’ample jupe bouillonnante sous une avalanche de plis, au bas agrémenté de piqûres et de surpiqûres, de biais et de guipure. Leur corsage se contentait d’un empiècement garni de galon ou, selon la fantaisie du couturier, se chargeait de fronces, de dentelle, de borderies, d’un ruchée. Certaines offraient un décolleté pour mettre en valeur un buste et des épaules, d’autres, plus sages, se rehaussaient d’un col officier enrichi d’un nœud vaporeux ou d’une fine dentelle. Là aussi, selon l’usage de la toilette, les manches avec leur forme ballon pouvaient être simples ou parées de dentelle, ornées de plis ou de galons. Les poignées s’agrémentaient d’une patte et de plusieurs boutons dont certains éclairaient la pénombre de lueurs étincelantes. Parmi ces richesses d’un autre âge se distinguaient des manteaux de coupe assez originale avec leur pèlerine bordée d’une riche fourrure ou de broderie. Mes mains folles couraient d’un cintre à l’autre. J’allais de surprise en surprise. Je m’extasiais à chaque nouvelle découverte, remplissant la pièce silencieuse d’admiratifs  « Oh ! » et  « Ah ! ». Mes yeux, jusque là ensorcelés par l’opulence vestimentaire, n’avaient pas prêté attention à ce qui se trouvait au-dessus et au-dessous de cette ligne. Quand ils remarquèrent l’étagère supérieur, ce fut pour découvrir des chapeaux allant du simple couvre chef aux plus extravagants : oiseaux, plumes, fruits, fleurs, tout était permis. Quant à l’étagère du bas, elle alignait de paires de chaussures vieillottes : escarpins de cuir fin, souliers à boucles, bottines à lacets ou à petits boutons. Et, pour finir, de ravissantes ombrelles se tenaient droites sur l’un des côtés. 

 

 

 



12/04/2013
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