Laplumeetlesmots

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Le Pays Bleu...

 

 

 

 

 

Ophélie raconte son arrivée au Pays bleu. Le vieux car asthmatique la dépose avec sa maman sur une route où Mamilou les attend.

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Á l'évocation de ce prénom, Mamilou, je songe à l'allégresse de nos retrouvailles. Je sautais du car pour me jeter dans ses bras et je couvrais de baisers ses joues dorées par le soleil. Son chapeau de paille, affolé par le retour de l'impétueuse gamine, se sauvait sur la route. Trop heureuse de me revoir, elle ne faisait rien pour le rattraper et sans maman pour lui courir après, qui sait où il aurait atterri, peut-être à Paris, allez savoir. Tandis que je l'embrassais en trépignant de joie – pensez donc, une année sans la voir ! – maman, elle, tentait de calmer mes débordements : "Ophélie ! Ça suffit maintenant !". Une fois nos effusions passées, elle m'inspectait et là, les mains jointes, elle se mettait à chanter de plus belle : "Boudiou !  Pichotte ! Tu es maigre comme un estoquefich !". J'ai oublié de vous préciser que les habitants de mon Pays Bleu ne connaissaient pas Ophélie ; pour tous, j'étais "la Pichotte à Mamilou. ». Que je vous dise, là-bas, les gens, en plus de "chanter" les mots, ils en employaient de mystérieux. Il fallait être initié pour les connaître. Ce que Mamilou venait de dire ? Et bien, "la petite est maigre comme de la morue séchée". Et croyez moi, en matière de morue séchée, elle s'y connaissait ; c'était la championne de l'aïoli ! Morue ou pas, en entendant la remarque, maman s'inquiétait : "elle a beaucoup toussé cet hiver ». Je me souhaitais alors des hivers pénibles, des toux ininterrompues, de quoi avoir le plaisir de retrouver chaque année Mamilou et mon royaume bleuté.

Il était temps de se mettre en route. Comme par magie, elle faisait alors surgir d'un taillis une brouette destinée à recevoir nos bagages puis là, délestée de notre charge, nous suivions la divine représentante de ces lieux enchanteurs. 

De chaque côté de la route, à perte de vue, s'étendait la garrigue avec ses bosquets de genévriers, de térébinthes, de tamaris et de plantes à ne plus savoir qu'en faire. Un peu plus haut, les vignes, les olivers et les lavandes. Plus haut encore, la colline couverte de résineux et de chênes. Par-dessus tout ça, un ciel bleu, illuminé à l'est par un disque d'or. A un point donné, comment Mamilou le reconnaissait-elle, là encore, mystère, elle tournait et... magie ! La roue enchantée de sa brouette faisait apparaître une sente dans les herbes sèches. Des sauterelles ouvraient le passage dans des éclairs de vert tendre. Les cigales stridulaient, les criquets "cricriquaient" et les mouches "bzubzutaient". Nous baignions dans des parfums d'hysope, de farigoule, de menthe sauvage, enfin, de ces plantes aromatiques qui peuplent cette terre gorgée de soleil et de chaleur. Sans doute vous demandez-vous comment une petite fille pouvait connaître leur nom ? Mamilou m'enseignait son savoir un peu plus chaque année. J'ai gardé en tête son herbier aux noms fantastiques. J'aimais la poésie du parler provençale. Essayez de prononcer ce mot, "pèbre d'aï". N'est-il pas révélateur de mystère ? Imaginez un peu, "pèbre d'aï !". Autrement dit, "poivre d’âne ! ». Du poivre, pour les ânes ! N'est-ce pas mieux que sa traduction, sarriette ?

Mamilou ne se contentait pas de m'initier aux végétaux, elle m'apprenait à reconnaître le chant des oiseaux, celui des insectes. Je peux vous ajouter au tableau de notre arrivée, les agasses bleutées qui jacassaient : « la Pichotte est de retour !" ; celui de la huppe, de la farlouse, du loriot qui voletaient : "la Pichotte est de retour !". Combien de temps durait cette traversée de la garrigue... Le trajet me paraissait court, maintenant, à d’autres, il aurait pu paraître long ; tout dépend comment chacun s’occupe. Les deux femmes l’employaient à se raconter une année de souvenirs et moi, je reprenais possession du Pays bleu.

 

Il fallait toute la magie de la brouette pour nous déposer soudainement sur un chemin caillouteux. Ici commençait le domaine de Mamilou, comme l’indiquait une pancarte en bois vermoulu, au nom verdi de mousse : la Faïce. Nous avions encore à remonter une allée de mûriers centenaires, vestiges de l’époque bénie où la région faisait l’élevage du vers à soie. Malgré l’heure matinale, les volets verts de la bastide étaient fermés sur les pièces emplies de la fraîcheur de la nuit, ceci ne l’empêchait pas d’avoir été avertie de ma venue. Tôt ce matin, de la cuisine, des arômes de tarte aux abricots, de daube provençale et de ratatouille était venues chatouiller les murs : « la Pichotte est de retour ! ». La façade me faisait un accueil ruisselant de soleil et me souriait de ses murs fendillés. Le banc de pierre adossé près de la porte m’invitait à m’asseoir. Le potager m’adressait des clins d’œil de tomates rouges, de courgettes et de poivrons verts, d’aubergines violettes. Le jardin aux fleurs me souriait en blanc, en mauve, en rose et en jaune. Les préférées de Mamilou, les œillets de poète, m’ovationnaient de couleur. Ils étaient partout, en des coins si invraisemblables que je leur soupçonnais des complices répondant au nom de pigeons ramiers, merles, verdiers et mésanges. Qui d’autres, sinon eux, auraient pu les apporter aussi loin de chez elle.

Ah, Mamilou et son jardin ! Je crois que vous n’auriez pas pu l’empêcher de bêcher, planter, semer, même si parfois elle ronchonnait dans son patois : « Aïe, Boudiou dé Boudiou ! ». Sa fâcherie ne durait guère. Après son « Boudiou », vous la surpreniez à lui faire des éloges. C’est qu’elle l’aimait sa terre ocre, sèche, dure à travailler ; fille de Provence, elle lui appartenait corps et âme.

 


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Extrait du roman Pays d'ailleurs... A.M. Bonnaud, texte protégé.



22/02/2013
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